Sa découverte :
Ce four a été découvert in situ, en 1993. Le propriétaire de l’immeuble voulait y aménager des locaux commerciaux au rez-de-chaussée, dans un garage et une petite pièce contiguë comblée
de gravats et de sable. Il engagea une entreprise de travaux pour dégager cette pièce. Les ouvriers enlevèrent différentes couches de matériaux puis découvrirent le four et en commencèrent la
démolition. Alerté par les coups de masse, à la vue de ce monument témoin du passé de la ville, Raymond Amy, Président des Amis du Vieil Aubagne, alerta le Maire de la Ville, Jean
Tardito, qui fit arrêter les travaux. Un contrat fut passé avec le propriétaire des lieux pour conserver le four tel que nous pouvons le voir aujourd'hui. Il est dépourvu de sa partie
arrière et supérieure. Nous pouvons donc observer l'intérieur et la porte d'accès.
Des recherches furent entreprises par l'association pour tenter d'en retrouver l'histoire. Quelques sources écrites et sa structure
nous permettent de le dater du début du XIXème siècle.
Les fours banaux d'Aubagne :
Dès le haut Moyen-Age, les populations éparses du territoire aubagnais, soumises aux invasions barbares et sarrasines viennent se regrouper sur la butte, à l’abri, derrière les remparts sous la
protection seigneuriale mais elles se retrouvent également contraintes à de nombreuses servitudes.
Les citadins devaient
sous l'Ancien-Régime, faire cuire leur pain dans des fours appartenant au seigneur de la ville en payant un droit de fournage appelé le vingtain (un pain sur vingt). Ils étaient obligés
de faire cuire leur pain dans ces fours sous peine d’amendes appelées les bans d’où le nom de four banal.
Ces fours étaient placés sous la direction du clavaire et fonctionnaient grâce à un
enfourneur (fournié), un pourvoyeur de bois et un porteur qui allait chercher la pâte chez les habitants pour la faire cuire. Les fours étaient affermés, c'est-à-dire que l'enfourneur devait payer une
rente au seigneur tandis que les "clients" lui versaient un droit de fournage.
La Commune n'avait aucun droit
sur les employés du four mais pouvait dénoncer son mauvais fonctionnement.
Le premier four banal recensé à Aubagne était situé dans la ville haute, entre le rempart et la maison de la Confrérie du Saint-Esprit (aujourd'hui accueil de
l'église Saint-Sauveur). Il fonctionna du XVème siècle jusqu'en 1826 puis fut transformé en bergerie.
En 1506, Ogier d'Anglure, seigneur d'Aubagne, abandonna ses droits sur le four après les doléances de la Commune qui dénonçait ses mauvais fonctionnements. Il en céda donc les droits à la Commune au prix de 100 florins. Celle-ci construisit ensuite deux autres fours pour satisfaire la demande d'une population grandissante et installée sur des terres en dehors des remparts.
Le deuxième four
banal était situé entre la rue du Four (c'est d'ailleurs lui qui donna son nom à la rue) et la rue Gachiou en face de la Halle de la Poissonnerie. Il fut construit dans la première moitié du
XVIème siècle. C'est en 1560 que Gaspard Paul construisit une maison au-dessus qui servit de grenier à blé puis qui abrita, à partir de 1614, la deuxième mairie d'Aubagne jusqu'en
1830.
Le troisième four fut construit en 1577 par Dominique Catani, tuilier
d'Aubagne, dans l'îlot de maisons coincé entre la rue des Hôtes (rue Domergue) et la rive gauche du Merlançon (rue de la République).
Mais la Ville d'Aubagne s'endettait de plus en plus et les Etats d'Aix forcèrent la Commune à vendre aux enchères les fours, le défens et les
moulins. En 1644, ils furent achetés par Jeanne d'Arène, veuve de Philippe de Félix au prix de 38 500 livres, sous condition de la fourniture du bois de chauffage et de l'autorisation donnée aux
particuliers de cuire le pain dans leurs bastides pour un demi droit de fournage (un pain sur quarante).
La famille de Felix
fit construire un quatrième four afin de desservir le quartier de Ville Neuve. Il fut bâti vers 1675 dans une maison à l'angle de la rue Jeu de Ballon
et de la rue Marceau. Cette maison a abrité longtemps une boulangerie dont la façade est recouverte encore aujourd’hui de carreaux émaillés jaune et noir.
Face aux malversations des employés des fours, la Commune entreprit la poursuite du Sieur de Felix devant la cour d'Aix. S'en suivirent de
nombreux procès et différentes décisions qui se succédèrent pendant un siècle, ponctués de multiples tentatives de rachat des fours par la Commune.
Le 8 décembre 1791, la Révolution abolit tous les privilèges dont le droit de fournage. Cependant, le Général Félix Dumuy revendiqua
le 2 fructidor an 10 le rétablissement des privilèges de sa famille sur les fours d'Aubagne. La Cour d'Aix lui donna raison. Ainsi, les citadins furent contraints de faire cuire leur pain au four
banal en payant le vingtain tandis que les forains ou habitants de la campagne durent faire cuire le pain dans leur four particulier en payant un abonnement. Les fours construits dans la commune
depuis 1791 durent être fermés et les nouvelles constructions soumises au consentement des Sieurs de la Reynarde.
La Commune demanda dès 1820 au Préfet de faire casser cet acte et de restituer les fours à pain, bois et forêts dits Les Défens. Cet ultime procès se termina en
1826 avec la suppression de la banalité des fours.
Sa structure :
Ce four semble avoir pris pour base une structure plane, peut-être la sole d'un four plus ancien. Cette hypothèse est confortée par la présence sur la droite d'un départ de voûte constituée d’une
pierre rosée (pierres de la Couronne) dont quelques parties ont été remployées dans le mur au fond de la pièce.
Différents
points ont été remarqués par l'équipe des Amis du Vieil Aubagne sans pour autant pouvoir établir la chronologie d'occupation de la pièce dans lequel se trouve le four. Il occupe un emplacement
excentré par rapport à la pièce. Il repose, dans sa partie gauche, sur un sol dallé en terre cuite et, dans sa partie droite, sur la sole d’un four plus ancien.
Le four est entouré de trois murs, celui du fond formé par de nombreuses pierres équarries, certainement remployées. Ce mur est contemporain au
four puisqu’il surmonte son entrée. Les deux autres murs sont construits comme ceux de la plupart des maisons de la vieille ville avec des moellons ramassés dans la localité. Sur le mur gauche,
on peut remarquer un départ de voûte faite en mortier et moellons, sur le mur droit un arc de décharge en briques aménagé pour éviter au mur de peser sur la voûte du four précédent. Des fouilles
apporteraient certainement quelques réponses à cette question de chronologie...
Le four est de forme elliptique, les
dimensions intérieures de la sole sont de 3,14m x 3,38m. La voûte est formée de 2 assises de pierres de 19cm d'épaisseur, bloquées au centre par un bouchon de mortier d’une très grande dimension.
La hauteur du four est évaluée à un mètre.
D' après les recherches d'Edmond Mari sur les fours des Alpes Maritimes, ceci est
un critère d'ancienneté : les fours les plus anciens avaient 1m20 de haut, du XVIIIème au début XXème siècle il remarque une diminution de la hauteur qui se termine à 60cm.
Un deuxième critère d'ancienneté est donné par l'épaisseur des blocs : 17cm pour les plus anciens, 14-12cm voir 10cm pour les fours du milieu du XXème siècle.
La structure du four permet donc de le dater du début du XIXème siècle. Pour l'instant aucune étude des archives
communales n'a pu permettre d'appuyer cette datation, le seul élément confortant cette date est l’absence du signalement du four dans le recensement des fours banaux entrepris par le Dr
Barthélemy dans son Histoire d’Aubagne des origines à la Révolution.
Les premières recherches ont été entreprises par Raymond Amy, elles montrent l'utilisation d'une pierre employée dans la construction des fours
des Alpes Maritimes. Ce sont, d'après Edmond Mari, des cinérites (pierres d'origine volcanique de 26 millions d'années) dont les carrières sont localisées autour d’Antibes, Biot,
Villeneuve-Loubet et du Cap d'Ail. Ce sont des roches tendres et poreuses formées par l'accumulation de cendres dans un milieu lacustre et qui contiennent souvent des scories ou des bombes
volcaniques. Ces pierres ont des propriétés réfractaires de grande qualité, elles résistent à 1250°.
L’étude d’Edmond Mari
sur les fours à pain des Alpes Maritimes nous renseigne sur les qualités de la pierre et les méthodes d’extraction des cinérites et de construction des fours. Nous en livrons ici quelques
extraits :
La qualité de cette roche fut reconnue depuis la plus haute antiquité car elle a été utilisée par les romains pour la construction des salles hypocaustes à Cimiez. Les plus anciens écrits mentionnant l’exploitation de cinérites datent de 1259 et de 1552. (…) L’industrie du four à pain avait connu un essor remarquable ; « la pierre de Biot » fut taillée et transportée, parfois non sans peine en raison du manque de voies de communication (…) Les expéditions dépassèrent à partir du XIXème siècle les limites des Alpes-Maritimes, des fours de boulanger franchirent même la Méditerrannée, d’autres furent livrés en Afrique Noire.
Au XIXème siècle, six entreprises employant une main d’œuvre importante, se partageaient le marché (…) Le savoir-faire se transmettait le plus souvent de génération en génération. Le tailleur de cinérite louait une parcelle de terre qu’il avait préalablement choisie en fonction de la qualité de la roche.
(…) Trois pics à manche plat sont à la disposition du « peirier », l’escoudo à bout pointu sert au dégrossissage tandis que l’escoudo à tailler plus aplati et le taillant à bord tranchant de 4cm de large sont utilisés respectivement pour l’affinage et les finitions.
Après avoir dégagé une surface plane, le tailleur creuse une saignée avec l’escoudo pour limiter un énorme bloc. De nombreux coins de fer, huit par mètre, sont placés sur le bord libre afin de pouvoir le décoller. Ils sont ensuite enfoncés progressivement sur toute la longueur à l’aide d’une énorme masse pour obtenir une épaisseur constante. Quand le bloc est isolé, une étude minutieuse permet de déceler des défauts, failles ou bombes volcaniques pouvant nuire à sa solidité. A l’aide de gabarits, le galbe est donné à la pierre de voûte qui possèdera dans sa forme définitive une épaisseur de 14 à 18 cm. (…) Deux jours de travail sont nécessaires pour mettre en forme un voussoir qui peut peser plus de 240 kg. A raison de 60 éléments en moyenne, un four était donc taillé en deux mois par deux hommes.
(…) Au fur et à mesure de l’avance des travaux, le four était monté à « blanc » à l’aide de piquets de mimosa, à proximité de la carrière afin d’ajuster les joints. Cette opération est primordiale pour garantir une bonne stabilité à la voûte et un minimum de déperdition de chaleur. L’ouvrage terminé, celui-ci était transporté par des charrettes jusqu’au lieu de livraison. Le four, arrivé à destination, le montage était effectué par celui qui l’avait conçu.
Le trumeau constitué, la sole est placée la première en commençant par le centre (…). Les joints sont ensuite
comblés de chaux puis, plus récemment, de ciment. Ce dallage effectué, la pose des pierres numérotées de la première assise peut être entreprise en respectant au millimètre près les marques
préalablement effectuées sur la sole. Cette assise ne s’appuie qu’en partie sur la base ce qui permet de changer les pierres de cette dernière qui se dégradent rapidement sans avoir à démonter la
voûte. Une journée est ensuite consacrée à la mise en place du deuxième et troisième rang. La clé de voûte ajustée sur place coiffe enfin l’ensemble. L’intervalle compris entre la voûte et les
murs extérieurs du four est progressivement comblé de matériaux formant une masse thermique.(…) La porte et divers accessoires sont placés après une quinzaine de jours de travail, le four est
prêt à cuire.
Son fonctionnement
:
Le boulanger brûlait des feissines de bois (il était quelques fois d’usage de lui en fournir deux par fournée) directement dans le four qui ne comportait pas de cheminée. La fumée se dégageait
par la porte ouverte vers un conduit, en général aménagé au-dessus de celle-ci extérieurement. Le feu chauffait la pierre. La montée en chauffe du four pouvait prendre un ou deux
jours.
Lorsque le boulanger jugeait que la chauffe
était suffisante (la calotte de la voûte devenait blanche après avoir été noircie par la fumée), il retirait les braises à l’aide d’un rable (grand crochet de fer forgé), balayait la sole
du four avec un écouvillon (chiffon mouillé fixé à l’extrémité d’un manche en bois permettant de nettoyer et d’humidifier le four), contrôlait la température en jetant une poignée de
farine qui devait dorer rapidement sans brûler (température idéale de 200 à 230°C). A ce moment là, il enfournait ses pains à l’aide d’une longue pelle puis bloquait la porte. La cuisson
durait une heure à une heure trente pour des pains de 1kg.
Sandra Rouqueirol